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un pas vers Osaka
7 avril 2006

Yôko Ogawa Interview Portrait

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Yôko Ogawa est née en 1962 dans la préfecture d'Okayama, au Japon. Ses romans, qui excellent par des atmosphères volontiers oppressantes, l'ont hissée au rang des écrivains les plus adulés de sa génération.

Quelle est la genèse du Musée du silence ?
J'aime beaucoup les musées. J'ai l'impression qu'à travers un musée, l'homme peut enserrer le monde, le maîtriser. Avec le Musée du silence, j'ai voulu exprimer ce désir de l'homme d'avoir prise sur le monde. Les objets que l'on rassemble dans un musée sont une métaphore du monde, c'est à partir de cette idée-là que le roman a commencé. Je me suis rendue compte après en avoir terminé l'écriture que ce désir d'attraper le monde n'était pas du tout un désir égoïste, qu'il n'avait pas de signification péjorative. A travers cette démarche de musée, on accepte le monde, on accepte l'idée de la mort et donc l'idée de la fin de ce monde.

On retrouve dans ce roman les thèmes propres à l'ensemble de votre œuvre : l'obsession de l'ordre, du classement, le fétichisme, la cruauté…
Comme vous l'avez constaté, le fétichisme, la cruauté, le classement, sont des idées récurrentes dans mes livres. J'exprime certainement à travers tout cela un attachement au physique. Pour décrire l'homme, pour décrire les actions humaines, je n'essaye jamais de rentrer à l'intérieur de l'individu mais de l'appréhender par son contour, par l'extérieur. Il s'agit pour moi de partir de la silhouette extérieure et d'essayer de découvrir l'intérieur.

Si vous proposez une atmosphère insolite et oppressante, votre écriture épurée offre un saisissant contraste…
Mon style est effectivement très épuré. Je m'efforce d'avoir un rythme, de faire en sorte que mon style soit plus musical que littéraire. Il est important pour moi que cette écriture puisse se parler, qu'elle puisse se lire à haute voix.

Votre démarche s'apparente davantage à celle du conte que de roman…
C'est exactement cela, je me sens beaucoup plus proche du conte que du roman. En japonais, le roman se dit également monogatari, c'est-à-dire mono o gataru, raconter quelque chose. Ce terme renvoie très précisément à ce que je veux faire, dans le sens où je veux raconter quelque chose. Les romans se lisent, bien évidemment, mais à l'origine les récits étaient racontés à haute voix, il s'agissait d'une littérature orale. Parfois, lorsque je suis bloquée dans l'écriture d'un roman, je me mets à lire à haute voix ce que j'ai écrit. Cela me permet de reprendre mon souffle et de poursuivre mon récit.

Qu'est-ce qui vous conduit à favoriser l'écriture à la première personne du singulier ? Vous inscrivez-vous dans une tradition littéraire particulière ?
Dans la tradition des contes populaires japonais, on ne dit pas "je" mais plutôt "il". Tout est raconté à la troisième personne. Dans mes romans, en particulier dans Le Musée du silence, le "je" est un homme qui n'est pas le héros du roman, c'est quelqu'un qui vient de l'extérieur, qui arrive dans un village, qui observe une situation donnée et qui la relate. Ma démarche est la suivante : quelqu'un de l'extérieur vient, observe et raconte.

Vous accordez d'ordinaire une très grande importance au lieu dans lequel se déroule l'action. Le Musée du silence ne fait pas exception à la règle…
Pour Le Musée du silence, je suis partie de l'image d'un musée. Il y a eu par la suite l'image de ce village avec sa fontaine sur la place, son monastère et ses animaux étranges. Et puis cette propriété. Ce sont des images qui me viennent les unes après les autres. Les personnages se mettent ensuite tout naturellement en place dans un lieu donné, et l'histoire commence. Mais au départ, il s'agit d'un lieu et d'une image de lieu.
Propos recueillis par Sandrine Fillipetti
(entretien traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle)


Portrait


À l'opposé de la toute jeune littérature japonaise, pleine de bruit, de violence et de fureur urbaine, l'œuvre de Yôko Ogawa se construit dans une sorte d'apesanteur et de silence. Un silence lourd de menaces...

OpaleYôko Ogawa est née en 1962 dans la préfecture d'Okayama, au Japon. Fascinée à l'âge de treize ans par la lecture du Journal d'Anne Frank, elle découvre le pouvoir des mots, leur faculté de retranscrire sur un ton ordinaire les événements les plus incroyablement glaçants et douloureux. Comme Haruki Murakami, elle étudie à l'université Waseda de Tokyo, dont elle sort diplômée en arts et littérature en 1984. De retour à Okayama, elle se marie et entame une carrière d'écrivain aussitôt remarquée : son premier roman, Quand le papillon se désagrège, est couronné en 1988 par le prix Kaien des jeunes écrivains. Elle écrit La Piscine (1990), puis La Grossesse (1991), qui reçoit le très prestigieux prix Akutagawa, équivalent du Goncourt. La Grossesse se vend à trois cent mille exemplaires au Japon.
Yôko Ogawa continue de secouer le monde des lettres nippon avec Les Abeilles (1991), Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie (1991), qu'elle publie avec Un thé qui ne refroidit pas (1990), et L'Annulaire (1994). Avec Hôtel Iris (1996) et Parfum de glace (1998), elle se rapproche d'un style romanesque beaucoup plus conventionnel, également plus explicite. Kampeki na byoshitsu, Angelina et Yosei ga mai-oriru yoru, quant à ceux-ci, n'ont pas encore été traduits en français.
Textes courts (aucun ne dépasse les cent dix pages) écrits à la première personne (il s'agit systématiquement d'une jeune femme), ses premiers romans excellent par leurs atmosphères insolites et volontiers angoissantes, par leur description froide et calculée d'univers faussement lisses qui dissimulent de multiples perversions. Sous une apparente simplicité stylistique, la romancière donne libre cours aux fêlures et aux contradictions d'individus traumatisés, hantés par d'étranges fantasmes.

Férue de lieux anciens et délabrés (l'orphelinat vétuste de La Piscine, le foyer des Abeilles, le laboratoire de L'Annulaire...), Yôko Ogawa manie des thèmes aussi divers que l'obsession de l'ordre et du classement (L'Annulaire, Hôtel Iris, Parfum de glace...), le fétichisme (L'Annulaire, Hôtel Iris...) et la cruauté. Elle traite tour à tour des frustrations et des pulsions troubles de l'adolescence (La Piscine), d'un irrépressible désir nourricier (La Grossesse), d'une disparition inexpliquée (Les Abeilles), de la puissance de l'inconscient, des nostalgies et des blessures intimes des êtres (Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie).
L'Annulaire, qui reste à ce jour son plus fascinant récit, semble le point d'orgue de cette œuvre incroyablement mature et dérangeante. On ne sort pas totalement indemne d'un roman de Yôko Ogawa. Son écriture épurée, jamais exubérante, contraste avec le climat pesant, voire horrifiant, de ses intrigues. Toute la puissance de ces romans réside dans le non-dit. À l'opposé de la toute jeune littérature japonaise, pleine de bruit, de violence et de fureur urbaine, l'œuvre de Yôko Ogawa se construit dans une sorte d'apesanteur et de silence. Un silence lourd de menaces...

Source : Fnac.com

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